Les signes de l’Esprit
En Espagne, dans un petit bureau près de Barcelone, le silence accueille les visiteurs. Or, en regardant autour d’eux, ceux-ci découvrent une activité débordante : des bras font des gestes, des doigts signent rapidement, des visages expriment des émotions. En effet, les membres d’une équipe de traduction de la Bible en langue des signes locale sont réunis pour discuter des traductions. Cela fait plus de dix ans qu’ils traduisent fidèlement la Bible. Ils racontent leurs frustrations, leurs triomphes et la mission de Dieu pour que sa Parole touche les Sourds d’Espagne.
David Roldán Cintas est un pasteur sourd. Il fait partie depuis longtemps de cette équipe de traduction. Ses parents sont entendants. Ils ont tout fait pour l’aider ainsi que Carlos, son frère sourd également, à recevoir une bonne éducation. L’école où ils ont envoyé leurs fils décourageait l’utilisation de la langue des signes.
« À l’école, se rappelle David, ils nous tapaient sur les mains et ne nous laissaient pas signer. Moi, je préfère signer : c’est plus naturel. Lorsqu’on est sourd, on grandit en appréhendant les choses avec les yeux et non avec les oreilles, il est donc plus instinctif de bouger les mains pour parler. »
Lorsque David et Carlos sont devenus adultes, leurs parents ont compris que la langue des signes était la langue de prédilection de leurs fils et ils ont commencé à apprendre la langue des signes catalane. Leur sœur entendante, Rut, qui signait avec ses frères depuis l’enfance, est devenue interprète en langue des signes.
Carlos, David, Rut et son mari entendant, Eloy Lobato Álvarez, ainsi que l’épouse sourde de David, Estrella Camacho Moreno, ont tous fini par devenir membres d’une équipe de traduction de la Bible. Aux côtés de Steve et Dianne Parkhurst, deux membres de Wycliffe, ils travaillent à communiquer l’amour de Dieu aux Sourds d’Espagne.
Le besoin de traductions de la Bible en langues des signes
La plupart des pays ont leur propre langue des signes, voire dans certains cas plusieurs. Il existe plus de 400 langues des signes, chacune ayant une syntaxe et une grammaire qui lui sont propres.
L’Espagne dispose de trois langues des signes principales : la langue des signes espagnole (LSE), la langue des signes catalane (LSC) et la langue des signes valentienne (LSV). L’espagnole et la catalane sont les plus répandues. Elles comptent à elles deux environ 100 000 utilisateurs.
Certains Sourds apprennent à lire, écrire et parler une langue orale, mais cela leur est difficile.
« Les personnes sourdes grandissent en détestant lire », explique Steve, le coordinateur de l’équipe et l’un de ses conseillers. Il nous raconte l’histoire d’un ami sourd à qui on avait demandé de lire un passage de la Bible : « Il l’a lu mot à mot et à la fin, quand le prêtre lui a demandé s’il avait compris de quoi il s'agissait, il a répondu : Non. Je suis comme un perroquet. Je ne comprends pas vraiment ce que je viens de dire. Pour être franc, je n’aime pas lire la Bible parce que je veux la comprendre, mais je n’y arrive pas. Je dois rechercher les mots dans des dictionnaires. C’est tellement stressant que cela n’en vaut pas la peine. »
Estrella, l’une des traductrices, a vécu des expériences similaires : « Il y a longtemps, quand je lisais la Bible, j’avais vraiment du mal à la comprendre. J’essayais de trouver le sens des mots et je les écrivais, mais ils étaient difficiles à comprendre. »
Lorsque les Sourds ont accès à la Bible dans leur langue des signes, ils peuvent étudier la Parole de Dieu aussi souvent qu’ils le désirent et ne dépendent pas des explications ou des interprétations des autres.
Eloy est pasteur évangélique dans une ville près de Barcelone et un des conseillers pour l’équipe ibéro-catalane. « Je veux que les Sourds comprennent [la Bible] aussi bien que je le désire pour les entendants de mon Église », nous confie-t-il.
Traduction de la Bible pour les Sourds en Espagne
Il y a plus de 20 ans, Steve et Dianne Parkhurst sont venus vivre à Madrid, en Espagne, à l’invitation de PROEL (une organisation de l’Alliance Wycliffe Mondiale en Espagne) et se sont préparés à traduire la Bible dans les langues des signes de ce pays. À l’époque, de tels projets étaient rares.
« Nous étions une sorte de projet « cobaye », explique Steve. Et si cela marchait ici, nous saurions comment le faire ailleurs. »
Les Parkhurst ont rencontré de nombreux clubs de Sourds pour faire des recherches sur leurs langues. Pour écrire les mots qu’ils apprenaient, ils ont utilisé un système appelé SignWriting, qui permet de noter les formes des mains, les mouvements et les expressions du visage à l’aide de caractères visuels et de symboles.
Pour leurs recherches, ils ont également rencontré des Églises locales, des pasteurs et des prêtres.
« Nous en avons conclu qu’en effet il y avait un besoin certain [de traduction de la Bible], mais personne n’avait le temps, l’énergie, les connaissances ou le désir de se lancer et de nous aider » raconte Steve.
Par ailleurs, des gens étaient intéressés par SignWriting. En effet, la Fédération Sourde Espagnole a demandé aux Parkhurst d’enseigner SignWriting à des interprètes en langue des signes et à d’autres personnes. C’est ce qu’ils ont fait pendant les sept années suivantes, tout en attendant d’avoir la possibilité de poursuivre la traduction de la Bible. En 2003, ils ont vu une percée possible : la pastorale catholique des Sourds en Espagne a manifesté son intérêt. Les Parkhurst ont rencontré des prêtres et des autorités catholiques de la Société biblique, et ont décidé d’entreprendre un projet pilote à Madrid.
Les Parkhurst ont travaillé aux côtés de Jose Ingacio Bonacasa (« Nacho »), un Sourd catholique très engagé. Steve et Nacho ont traduit ensemble des passages de Luc et de Matthieu en LSE. SignWriting est devenu très utile pour faire cette traduction.
Trois ans plus tard, les Parkhurst ont commencé à constituer une petite équipe à Barcelone pour traduire en LSC. À partir de là, Estrella et Rut, deux membres de l’équipe, se sont mises à travailler à temps partiel sur cette nouvelle traduction.
Malheureusement, en raison de problèmes de santé, Nacho n’a pu continuer. Comme deux membres de l’équipe habitaient à Barcelone, ainsi qu’un groupe croissant de responsables spirituels pour les Sourds, les Parkhurst ont décidé de quitter Madrid pour déménager près de Barcelone.
« Nous avions ici un groupe beaucoup plus stable et pouvions mieux avancer que si nous restions à Madrid, raconte Steve. Vu la présence d'une Église évangélique très solide et d'une Église catholique intéressée par le projet, il s’est avéré que s'établir ici était vraiment une bonne chose. »
Après avoir déménagé, l’équipe a inversé sa manière de procéder : elle commence par traduire en langue des signes catalane (LSC) avant d’adapter cette traduction à la langue des signes espagnole (LSE). De nouveaux membres de la famille Roldán ont rejoint l’équipe. Estrella et Rut ont continué en tant que traductrices en LSC. Le mari de Rut, Eloy, s’est joint à l’équipe pour donner des conseils sur l’interprétation des textes bibliques. Carlos et David se sont ajoutés pour gérer la majeure partie de la création numérique et la distribution des traductions. Steve a continué à coordonner les projets tout en dispensant des conseils en linguistique tandis que Dianne a aidé l’équipe en effectuant des vérifications et les tâches administratives.
Protestants et catholiques travaillent ensemble
Moins de 10% de la population espagnole fréquente l’église régulièrement, mais plus de 70% des Espagnols se disent catholiques. Les évangéliques représentent moins de 1% de la population.
Il y a des années, un prêtre catholique a dit à Steve : « Peut-être que la Bible est l’un des domaines où nous pourrions avoir une collaboration fructueuse entre catholiques et protestants. »
De nos jours, catholiques et évangéliques jouent un rôle essentiel dans les traductions de la Bible en langues des signes espagnole et catalane. Chaque groupe a des représentants qui vérifient les traductions.
Steve revoit les versions avec les catholiques. « Nous en parlons pour vérifier si la traduction est juste et s’ils la comprennent correctement. Après quoi, [l’équipe de traduction] se réunit de nouveau, nous effectuons les changements et les présentons à un autre groupe, qui lui est évangélique », explique Steve.
Steve décrit les vérifications des traductions comme « une magnifique étude biblique en
profondeur avec des personnes qui ont faim et soif de la Parole de Dieu ».
L’équipe cherche à respecter les différences entre catholiques et protestants ainsi qu’à être la plus impartiale possible. Tous les passages bibliques sont produits en vidéo. Pour quelques récits de l’Ancien Testament, un signeur a été filmé, mais beaucoup de vidéos de passages bibliques utilisent un avatar animé en 3D, plutôt qu’un signeur réel.
De plus, grâce à l’animation, il est plus facile d’opérer des changements quand protestants et catholiques n’emploient pas la même terminologie. Des termes comme « Dieu le Père » sont signés différemment. Les catholiques le signent traditionnellement comme « Père Dieu », allant de bas en haut. Les évangéliques, eux, préfèrent « Dieu le Père » : ils en inversent l’ordre et le signent de haut en bas.
« Nous voulons produire une Bible que tout le monde peut utiliser », dit Steve.
Regards vers l’avenir
En mars 2017, l’équipe avait déjà distribué ses traductions, en langue des signes espagnole et en langue des signes catalane, des récits de la création, d’Adam et Eve, de Caïn et Abel, de Noé, de la tour de Babel, de la naissance de Jésus ainsi que Jonas et Marc. Elle était en train de vérifier des passages de l’évangile de Luc qu’elle venait de traduire dans les deux langues.
En outre, elle a achevé les traductions des récits de Gédéon, David et Goliath et d’Élie ainsi que des passages du livre de Josué et les livres de Ruth et d’Esther en langue des signes catalane. Les récits d’Abraham, de Joseph ainsi que les évangiles de Matthieu et de Jean, les Actes et des passages de l'Exode et de Daniel sont en cours de vérification en LSE.
« Cela fait 20 ans que je travaille parmi les Sourds et, il y a 20 ans, si j’avais dû lire un verset, [un Sourd] n’en aurait peut-être compris que trois ou quatre mots. Maintenant, c’est différent, témoigne Rut. À présent, je peux envoyer une vidéo de YouTube à quelqu’un en lui disant : Voici l’histoire. Regarde-la. Nous en parlerons samedi lorsque nous nous verrons. La personne peut la regarder et bien la comprendre. »
En 2016, la pastorale catholique pour les Sourds a investi environ 12 000 $ dans les nouvelles technologies de capture de mouvement pour permettre à l’équipe de traduire plus vite. Grâce à six nouvelles caméras couplées à un logiciel, l’équipe peut maintenant capturer le mouvement d’une personne en train de signer et le convertir rapidement en animation. Cela a réduit le temps consacré à la création de l’animation originale, et a, au minimum, doublé la vitesse de leur production.
Il reste pourtant encore beaucoup de travail à faire pour que la traduction progresse. Les principaux besoins de cette équipe sont la prière, le soutien financier et une plus grande participation de l’Église d’Espagne. Les pasteurs en Espagne n’ont souvent pas de salaire. Il est donc difficile de les convaincre d’investir leur temps et leur argent dans la traduction de la Bible. Mais l’équipe continue son œuvre.
« Notre objectif est comme un fardeau dans nos cœurs. Les Sourds n’ont guère l’occasion de goûter aux bienfaits de la Bible, parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent, explique David. Mais quand ils la comprennent, ces bienfaits leur deviennent accessibles : ils touchent leurs cœurs et les aident à changer. [La Bible] les soutient et les oriente dans la bonne direction. Nous essayons donc d’exprimer la Parole afin que les gens aient la possibilité d’être sauvés, afin qu’ils puissent la comprendre. Nous prions qu’un jour, les Sourds disposent de toute la Bible. »
par Becca Coon Photos : Marc Ewell
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